Devenu très important en France comme à l’international, le monde de l’Esport (soit le jeu vidéo en compétition) ne cesse de se développer. Arthur Landon (ESME promo 2021) fait justement partie des nouveaux acteurs de la scène hexagonale. Passé par le double diplôme avec l’ISG, cet Ancien, plus connu sous le pseudonyme An4rchy, a ainsi troqué sa casquette d’ingénieur spécialisé en Big Data et Digital Marketing pour celle, triple, d’organisateur, commentateur et créateur de contenus, principalement autour des jeux Overwatch et Valorant.
Arthur lors de son événement « Le retour de héros »
Pourquoi t’être tourné vers des études d’ingénieur ?
Arthur Landon : Comme beaucoup, j’ai longtemps hésité entre faire une école de commerce et une école d’ingénieurs car j’avais des qualités et des attirances dans les deux domaines. C’est le fait de voir l’ESME proposer un double diplôme avec l’ISG en fin de cursus qui a été déterminant dans mon choix. De mes années à l’ESME, je retiens évidemment mes camarades de promotion avec qui j’ai passé cinq années – certains sont devenus des amis proches – ainsi que la rigueur scientifique, celle qui fait que vous ne pouvez pas vous permettre de faire des erreurs, et cette « structure mécanique », que l’on retrouve aussi bien quand on code ou que l’on fait des sciences appliquées. Tout est une question de procédures, de précision et d’anticipation. D’ailleurs, ce que j’apprécie dans les sciences, c’est cette causalité inattaquable et inébranlable. Il y a des règles que l’on ne peut ni changer ni contourner et il faut apprendre à jouer avec pour justement créer et dépasser le tenant des possibles. Cela me sert tous les jours.
Quel est ton rapport au jeu vidéo ? Es-tu un « gros joueur » à la base ?
Arthur Landon : Pas forcément, mais j’ai grandi dans un petit village, assez isolé et loin de la ville, ce qui explique sans doute pourquoi j’ai baigné dedans assez vite, avec mes premières consoles de salon et portables dès l’âge de 7-8 ans. Mais pour moi, de façon générale, tout le monde est joueur, que ce soit via les jeux vidéo, les jeux classiques – de société ou de cartes – ou même les jeux plus « psychologiques » comme la négociation ou la drague qui mêlent aussi des aspects ludiques d’engagement, de risques et de récompenses. Le jeu est omniprésent autour de nous !
Quand s’est faite ta bascule dans le monde de l’Esport ?
Arthur Landon : Elle s’est faite en plusieurs étapes même si je crois que la toute première fois où j’ai pris conscience du phénomène, c’est quand j’ai entendu parler de Gotaga, un ancien joueur professionnel français qui officie désormais uniquement en tant que créateur de contenus. Je l’ai découvert lors d’un événement rassemblant justement des Youtubers/créateurs que je suivais déjà : il était alors le seul joueur compétitif à créer également sur ses réseaux sociaux du contenu justement tourné autour de la performance. Il portait une dynamique sportive et compétitive du jeu vidéo. Par la suite, j’ai pu observer l’émergence des modes de classement (ou « ranked »), de plus en plus ajoutés à des jeux pour permettre aux joueurs de toucher du doigt ce que peut être la compétition, avec cette idée de toujours vouloir gagner plus de points et d’expérience pour monter et affronter des concurrents de plus en plus forts. Mais le gros déclic, c’est quand j’ai réalisé mon semestre à l’international en 2019, à la California State University de Monterey Bay, lors de ma 3e année à l’ESME. Durant le Spring Break, avec des amis, nous avons fait un road trip à Los Angeles qui hébergeait alors l’Overwatch League. Tout le monde voulait aller découvrir les lieux emblématiques du cinéma, les villas des stars ou encore les parcs d’attraction aux alentours, mais moi, je voulais surtout voir ce que pouvait donner un tel événement Esport en physique ! C’était une expérience mémorable. Je savais que c’était ce milieu dans lequel je voulais évoluer et travailler.
Tes premiers pas dans l’Esport se sont faits derrière un micro. Comment devient-on commentateur de tournoi, justement ?
Arthur Landon : Je me suis tout simplement rapproché de l’association CastersNest qui diffuse des compétitions sur Overwatch et d’autres jeux. C’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier dans l’Esport. D’ailleurs, quand j’ai voulu commenter pour la première fois, j’ai simplement envoyé un message à CastersNest qui m’a ensuite pris à l’essai… et j’étais encore aux États-Unis à ce moment-là ! Il était midi ou 14h et je commentais en direct un événement qui se déroulait à 18h-20h en Europe ! (rires) C’est justement l’une des grandes forces de l’Esport : tout est faisable en « remote » (distanciel). Entre les outils existants et ceux qui se développent – caméras, connexions internet de plus en plus puissantes, outils de diffusion élaborés –, on commence à avoir des moyens conséquents pour produire du contenu de qualité – des émissions, des lives, des vidéos… – et donc de créer du lien avec la communauté très facilement malgré la distance. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si la période de Covid-19 a vu l’Esport exploser et faire de très, très bons chiffres auprès des audiences. Il y a eu un réel boost de ce secteur ! Aujourd’hui, cela fait trois ans que je suis commentateur d’événements avec CastersNest : en 2021, j’ai même eu l’opportunité de commenter le plus haut niveau européen sur Valorant, lors des Red Bull Home Ground, mais aussi sur Overwatch, avec les Contenders Europe pour la troisième année consécutive. Toutes ces expériences m’ont permis d’échanger avec d’autres commentateurs, d’interviewer des joueurs, de discuter avec des managers… Petit à petit, cela m’a donné la possibilité d’étoffer mon réseau et de gagner en compétences, afin de me lancer désormais sur des projets beaucoup plus gros et personnels.
Si certains s’intéressent à l’Esport pour jouer, ce n’est pas ton cas : tu préfères tout ce qui gravite autour…
Arthur Landon : La première chose qui m’a motivé, c’est vraiment la création de contenus, même si, dernièrement, je me suis principalement fait remarquer sur la scène par l’organisation d’événements et mes commentaires lors de compétitions majeures européennes d’Overawatch et Valorant. En fait, je pense que la création de contenus est vraiment source de valeurs pour l’Esport : il faut faire du storytelling sur les joueurs, faire des montages vidéo de leurs performances… Au fond, c’est un peu comme le sport traditionnel : brut, il peut manquer d’intérêt… Il faut créer autour pour renforcer encore l’engouement, la passion… Par exemple, il est super intéressant de pouvoir savoir comment les joueurs de haut niveau en sont arrivés là où ils sont, quel a été leur parcours… Il s’agit aussi de trouver des façons créatives pour mettre en avant les talents au niveau de la réalisation, imager quelles synergies pourraient se mettre en place entre les marques et les différents acteurs de la scène, etc. Plus j’avance dans l’Esport et plus je veux me concentrer sur la création. Il y a encore beaucoup à faire et à penser.
En octobre 2021, tu as pu organiser ton premier événement, « Le retour de héros », à l’Espot de Paris, puis une seconde édition avec « Le retour de héros 2» en décembre, et un troisième événement, l’European Community Cup, en mars. Comment passe-t-on de commentateur à organisateur ?
Arthur Landon : En saisissant les opportunités ! Mais les opportunités, avant de les saisir, il faut d’abord aller les chercher ! En effet, j’avais entendu parler de l’Espot Paris par Disco Devli, un collègue de CastersNest qui y organisait déjà des shows sur le jeu Just Dance. Et quand j’ai vu ce lieu de 2 000 m² situé en plein centre de Paris, avec près de 90 PC et une aréna, je me suis tout de suite projeté : il fallait que j’y fasse quelque chose ! Cela n’a pas été évident au premier abord de gagner la confiance des responsables, ce qui est normal : l’Espot a souvent affaire à des marques capables de débourser des sommes importantes pour louer l’espace. Là, je venais seul, en leur proposant de faire une LAN sur Overwatch, avec un business model forcément très différent, mais ils ont pris le risque et ça a très bien fonctionné ! D’ailleurs, au moment de la mise en vente des places, le site de l’Espot a été « down ». J’étais en live sur Twitch pour l’ouverture de la billetterie, un moment assez fou : quand le site est revenu, tous les billets se sont écoulés en à peine 20 minutes ! On a donc, pour ce premier événement, rempli l’Espot et ainsi fait le show derrière avec mon équipe : on a montré ce qu’on savait faire et, surtout, qu’on pouvait le faire. Cela nous a rapidement permis de monter ensuite une deuxième édition, puis une troisième. Pour chaque édition, nous repoussons les limites de nos acquis et j’espère continuer encore avec les futurs projets qui arriveront très bientôt !
La particularité de ces événements est qu’ils mêlent à la fois des spectateurs sur place et des « viewers », des spectateurs en ligne.
Arthur Landon : Oui ! C’est ce qui fait la particularité de l’Esport et ce qui rend le défi challengeant à relever côté organisation. Pour le premier événement par exemple, nous avions une centaine de spectateurs présents pour l’arène et une cinquantaine dans l’espace lounge, en sachant qu’il y avait encore les restrictions liées à la Covid-19. Il fallait donc pouvoir s’occuper d’un côté de ces spectateurs présents, qui sont venus vivre l’événement sur place et soutenir l’événement en achetant leur billet, puis tous les viewers online qu’il ne faut pas non plus ignorer : il faut aussi penser à eux pour la diffusion et interagir en direct avec cette communauté. À cela s’ajoute une troisième cible à laquelle il faut évidemment penser durant l’événement : les joueurs eux-mêmes, qui représentaient plus de 150 personnes pour ce premier événement ! Il faut toujours trouver le bon équilibre pour répondre en même temps à l’intérêt des sponsors, des spectateurs au sens large et des joueurs. Pour les spectateurs sur place ou en ligne, l’idéal serait de ne jamais avoir de temps mort, avec des parties en continu. Sauf qu’il faut aussi penser aux joueurs, notamment à ceux déjà très réputés et suivis, et leur donner des temps de respiration. Il faut parvenir à trouver la bonne formule dans cette équation à plusieurs inconnues.
Quelles qualités faut-il pour être un bon organisateur d’événement Esport selon toi ?
Arthur Landon : Il faut forcément faire preuve d’empathie afin d’être capable de comprendre les attentes et problématiques de toutes les parties prenantes. Et même si l’Espot apporte beaucoup grâce à ses ressources de production pour proposer un show de qualité, je passe également beaucoup de temps en amont à réfléchir au format du tournoi et, surtout, à combien bien l’intégrer à la diffusion. Le tournoi est lié au show… et le show au tournoi ! Il faut avoir les pieds dans les deux univers, mais aussi bien penser aux trailers, comme un réalisateur de film, qu’aux réseaux sociaux… Cela revient finalement à faire six ou sept métiers en un. Personnellement, j’embrasse cette charge de travail et cette responsabilité parce que cela me permet de pleinement maîtriser l’événement et d’avoir une grande liberté d’action.
En mai dernier, tu as aussi organisé un premier événement à but caritatif, la Ch4rity Cup, récoltant près de 2 000 euros pour le Secours Populaire. Le format était un peu différent, non ?
Arthur Landon : C’est vrai. La compétition servait ici de support : chaque invité avait son équipe, mais l’idée du tournoi était surtout de réunir le temps d’un après-midi une dizaine d’acteurs d’Overwatch, qu’ils soient créateurs de contenus ou plus focalisés sur l’Esport, pour un moment d’unité et d’union entre des profils qui, justement, ne se croisent habituellement pas alors qu’ils partagent la même passion, le tout pour une belle cause.
On a beaucoup parlé d’Overwatch et de Valorant. Mais est-ce que tu fais aussi de la veille sur les nouveaux titres de l’Esport ?
Arthur Landon : Toujours, oui. Pour autant, la scène Esport est encore trop dépendante des éditeurs aujourd’hui. En effet, même si un jeu est très bon, il ne pourra pas engendrer un écosystème Esport autour de lui sans un réel soutien de la part de son éditeur. Tout dépend souvent de lui, de comment il va communiquer, structurer la scène et favoriser la création de contenus. Un éditeur comme Blizzard n’a, par exemple, pas du tout la même approche qu’un Riot Games ou qu’un Ubisoft. De ce fait, quand on suit les jeux prometteurs ou à venir, il faut absolument prendre en compte ce facteur. Certains éditeurs vont favoriser l’organisation d’événements et proposer des partenariats avec de nombreux créateurs, tandis que d’autres vont vouloir tout maitriser sans laisser beaucoup de liberté aux créateurs ou ne d’adresser qu’aux acteurs déjà très importants de la scène.
Quels sont tes futurs projets ?
Arthur Landon : Il y en a beaucoup ! Je compte lancer prochainement un talk-show, diffusé à la fois sur ma chaîne Twitch principale et sur la plateforme OPN TV, pour réunir en plateau plusieurs invités. Ce sera une nouvelle fois l’occasion de laisser parler ma créativité et de tester des concepts inédits tout en prenant du plaisir. Un autre gros projet qui me tient à cœur, c’est la promotion de la diversité et du droit à la différence dans le monde de l’Esport. En effet, je souhaite montrer que ce secteur peut être source de rassemblement tout en permettant de dépasser toutes les discriminations, à travers d’abord un événement mettant en avant la scène féminine du jeu Valorant. L’objectif est de pouvoir créer cet événement d’ici la fin de l’année 2022 et, pour y arriver, je recherche actuellement de potentiels partenaires. Enfin, je travaille aussi sur comment parvenir à créer un cercle vertueux entre toutes les structures françaises associées à Overwatch, pour obtenir la meilleure compétition nationale possible. L’idée serait de pouvoir façonner une très belle ligue en France et ainsi montrer à Blizzard, l’éditeur du jeu, que l’Esport en France est particulièrement dynamique !