Une idée, des compétences techniques, une appétence pour le business, de l’envie, des personnalités fortes, du culot et un peu de chance : tels sont les ingrédients qui ont permis à Pierre Lazarz et Aymeric L. (ESME Sudria promo 2020), tous deux issus de la Majeure Intelligence Artificielle, de créer leur start-up, AVEKIA.
Incubée au sein du Sudri’Cub, AVEKIA propose ses services aux entreprises souhaitant intégrer des solutions utilisant l’IA notamment pour la vérification et la bonne gestion de leurs documentations et certifications. Une approche qui a déjà attiré l’attention du groupe Engie et qui, d’après ce duo d’ingénieurs-entrepreneurs, ne manque pas d’ambition.
Pierre Lazarz et Aymeric L.
Commençons par le commencent. Pourquoi avez-vous choisi de rejoindre une école d’ingénieurs comme l’ESME ?
Aymeric L. : Rejoindre une école d’ingénieurs était pour moi une évidence car, depuis tout petit, je cherche toujours à trouver les réponses aux questions que je me pose. J’ai d’autant plus été attiré dans cette voie par l’IA, une technologie qui me passionne et me fascine. Ce qui est drôle, c’est qu’avant de rejoindre l’ESME, je n’étais pas très doué en informatique – même si j’adorais ça. Finalement, avec du temps et la motivation, je suis devenu bon ! (rires) Avec l’informatique, on peut créer un monde à partir de rien et ça, c’est génial.
Pierre Lazarz : Je suis un peu comme Aymeric, dans le sens où je me pose aussi beaucoup de questions, tout le temps : chercher des réponses est un trait commun aux ingénieurs et à ceux qui aspirent à le devenir ! (rires) Pour autant, je ne me suis pas tout de suite dirigé vers l’ESME car, après le Bac, j’ai d’abord tenté médecine. Mais le côté « il faut tout apprendre par cœur » ne m’a pas plu. J’ai alors choisi de me tourner vers l’ingénierie. Et même si j’aime particulièrement l’informatique, j’ai préféré intégrer une école comme l’ESME car, après une année de médecine, je pensais qu’il était plus logique de rejoindre un cursus plus généraliste.
« On ne décide pas de devenir entrepreneur : on le devient simplement avec le temps »
En sortant de l’ESME, on peut rejoindre n’importe quelle entreprise. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir plutôt créer la vôtre ?
Pierre : C’est une envie que, pour ma part, j’avais depuis longtemps. À l’été 2019, j’avais ainsi déjà commencé à travailler sur un premier projet. Je voulais alors créer un média autonome grâce à l’IA. Je me suis lancé et Aymeric m’a rapidement rejoint dans l’aventure. Le projet a ensuite avancé, évolué… pour, au final, changer complètement. En fait, quand on démarre un projet, on ne pense pas tout de suite à la dimension entrepreneuriale. D’abord, on teste, on expérimente, on le fait grandir et ce n’est qu’à partir d’un certain point que l’on envisage la bascule. Cela se fait naturellement. Au fond, on ne décide pas de devenir entrepreneur : on le devient simplement avec le temps.
Aymeric : C’est d’ailleurs davantage la création d’un projet qui m’a attiré, plus que la création d’une entreprise. C’est cette idée de pouvoir créer de A à Z un produit vraiment personnifié… J’ai toujours eu plus d’aisance à imaginer de nouvelles choses, à inventer et à innover – quand il s’agit de travailler sur une solution déjà existante, dans une grande entreprise ou ailleurs, je me sens moins libéré, plus restreint. C’est ce sentiment de liberté qui me plaît et que je retrouve dans notre start-up. Encore une fois, cela me permet de me poser plus de questions. On y revient toujours ! (rires)
Revenons sur la genèse d’AVEKIA. Pourquoi avoir décidé de complètement changer le projet de média et donc de « pivoter » ?
Pierre : Quand on démarre un projet, on le fait d’abord par plaisir, parce que le sujet nous intéresse. Puis, à un moment, le projet se confronte à la réalité économique – « est-ce qu’il y a un marché ou non ? ». Logiquement, s’il n’y a pas d’argent, il est difficile de pouvoir mener à bien le produit. Or, après réflexion, ce projet de média n’était pas forcément viable. Mais plus que cet aspect, c’est une rencontre qui nous a poussés à réaliser ce pivot. En effet, nous avons eu la chance de pouvoir tomber sur une personne de chez Engie confrontée à une problématique métier très concrète, liée à notre domaine d’activité – l’IA – et laissant entrevoir une réelle opportunité de marché. On a senti le potentiel, on a eu du flair et on a choisi de changer de direction.
« C’est le propre de l’ingénieur que de constater un problème et de vouloir le résoudre »
Comment est née cette rencontre ?
Pierre : Tout démarre lors d’une discussion entre amis, avec un autre étudiant de l’ESME en alternance chez Engie. Il nous raconte les difficultés qu’il peut rencontrer dans ses tâches et, avec Aymeric, on se rend alors compte que nous avons en main la solution technique pour y répondre. Nous lui avons alors fourni un petit code informatique pour l’aider. Derrière, il en a parlé à son supérieur. Celui-ci souhaitant aller plus loin, une rencontre s’est organisée pour définir ensemble la problématique à résoudre, les limites, etc. On peut penser que le hasard fait bien les choses, mais cela résume finalement assez bien ce qu’est l’entrepreneuriat : il s’agit souvent de saisir les bonnes opportunités quand elles se présentent devant soi. Nous avons eu cette chance et aujourd’hui, avec Engie, nous créons ensemble quelque chose de concret depuis le mois de décembre 2019.
Quelle est cette fameuse problématique ?
Aymeric : De façon générale, un technicien dans la maintenance liste énormément d’informations à la suite de ses interventions. Par exemple, quel est l’état des installations en place ? Sont-elles conformes aux règles sécurité ? Etc. Cela représente de nombreux rapports quotidiens. Or, toutes ces informations sont ensuite compilées manuellement, ce qui peut donc engendrer de potentielles erreurs – l’humain n’est pas infaillible. Ces erreurs peuvent, par exemple, concerner une date, des doublons ou une mauvaise copie d’un précédent rapport. Bref, des erreurs souvent très simples, mais qui, en raison du poids de la documentation et du facteur humain, peuvent malgré tout perdurer. C’est là qu’intervient l’IA : une machine peut éviter cela. C’est le propre de l’ingénieur que de constater un problème et de vouloir le résoudre.
Pierre : La nature de ces erreurs vient essentiellement du processus. Assez souvent, on remarque que les techniciens qui interviennent chez des clients écrivent, dans un premier temps, leurs informations sur un papier. Ce n’est qu’en revenant à leurs bureaux qu’ils peuvent ensuite retranscrire leurs notes sur des outils de bureautique. C’est à la fois une perte de temps et une source d’erreurs. On digitalise donc l’ensemble processus avec une application et on y intègre des automatismes qui font notre valeur ajoutée.
Où en est le projet d’application ?
Aymeric : Il est encore en phase de test, en étant accessible sur ordinateur. Ainsi, un technicien d’Engie utilise actuellement la première version de notre application et nous remonte les possibles améliorations à apporter pour faciliter encore davantage son travail. Prochainement, nous rencontrerons la direction d’Engie pour faire un point avec eux, notamment sur le gain de temps réalisé par le technicien et le niveau de qualité de la vérification automatisée en comparaison avec la précédente méthode employée. Dans la même optique, la seconde version de l’application sera disponible sur Android et pour tablette, pour fluidifier encore le processus. Et, s’il le faut, nous imaginerons aussi un portage sous iOS. C’est ce qu’on apprend en école d’ingénieurs, la polyvalence et l’adaptabilité.
Pierre : Le retour du technicien sur le terrain est fondamental car il s’agit d’une réelle problématique métier. Il faut rappeler qu’une entreprise comme Engie est certifiée par un organisme et que tous les documents sortant de l’entreprise portent le tampon de cette certification. De ce fait, des contrôles sont organisés annuellement pour s’assurer de la qualité. Quand le prochain audit analysera les rapports conçus avec notre application et les approuvera, nous serons alors en mesure de pouvoir dire que notre produit répond aux normes de cette certification. Nous pourrons alors éventuellement demander à obtenir une certification équivalente pour notre outil.
« Le retour du technicien sur le terrain est fondamental »
Cette certification vous permettra de collaborer avec d’autres entreprises ?
Aymeric : Oui, bien sûr. D’ailleurs, même si Engie est notre premier client et que nous développons avec eux – et pour eux – la meilleure application possible, nous gardons la propriété intellectuelle de la solution. L’objectif par la suite est de rendre cette application polyvalente, d’abord pour servir d’autres acteurs, puis d’envisager d’attaquer d’autres problématiques.
Comment vous répartissez-vous les rôles au sein d’AVEKIA ?
Pierre : En tant que Chief Executive Officer (CEO), je m’occupe principalement de la partie financière et marketing. Cela concerne la relation avec les clients, le fait de rechercher de nouvelles opportunités, etc. En tant que Chief Technology Officer (CTO), Aymeric est le responsable technique de la start-up : c’est lui qui va dessiner la trajectoire technologique de l’entreprise. Par exemple, dès les premières semaines de notre travail avec Engie, c’est lui qui a défini le langage de programmation à utiliser. À l’inverse, mes décisions portent davantage sur la description précise des fonctionnalités à obtenir. Bien entendu, nous travaillons étroitement et nous intéressons beaucoup à ce que fait ou pense l’autre. Au fond, nous fonctionnons avant tout comme un véritable duo. Le fait d’appartenir à la même promotion à l’ESME et d’avoir des compétences équivalentes facilite grandement notre complémentarité.
Aymeric : Cela nous permet de nous challenger en permanence. Quand l’un aborde un sujet ou aborde ses travaux du moment, l’autre renchérit, pose des questions, etc. Ces échanges nous nourrissent et permettent souvent de surmonter les difficultés quand on est bloqué, d’aller à l’essentiel. Ce partage est crucial, surtout dans une start-up.
Allez-vous prochainement recruter pour grandir ?
Pierre : Nous sommes déjà trois ! (rires) En effet, nous avons un stagiaire qui n’est autre que mon frère, Etienne, actuellement étudiant à l’EPITA, une autre école d’ingénieurs du Groupe IONIS. Toutefois, oui, nous ambitionnons d’accueillir d’autres stagiaires dans un premier temps et de pourquoi pas les recruter ensuite selon l’évolution de l’entreprise. À ce sujet, le fait d’appartenir au réseau du Groupe IONIS est une chance car les compétences développées y sont très variées. Par ailleurs, depuis plusieurs mois, nous avons aussi commencé à donner des cours en IA à l’ESME auprès des étudiants de 4e année. Cela nous permet de challenger les nouvelles générations et de repérer de potentiels talents pour étoffer les rangs d’AVEKIA. Nous avons aussi la chance de faire partie de Sudri’Cub, l’incubateur de l’école. Ce dernier nous donne accès à un espace de travail idéal pour se réunir, mais aussi recevoir les clients et rencontrer d’autres entrepreneurs, eux-aussi incubés, pour discuter de nos projets, obtenir des conseils et des avis précieux. C’est un réel avantage de pouvoir échanger avec d’autres créateurs d’entreprises et de bénéficier de leurs retours d’expérience. Une start-up, c’est l’effervescence en permanence, d’où l’importance de cette stimulation continue.
« Il faut toujours aller au plus simple »
Avez-vous un conseil pour un(e) étudiant(e) qui souhaiterait à son tour se lancer dans un projet comparable ?
Pierre : Mon conseil serait de s’entourer très vite. Rester seul, ce n’est pas viable. Ne pas s’entourer d’autres personnes, c’est faire de votre start-up un cercle fermé et cela vous empêche d’aller dans la bonne direction. Toutefois, s’entourer ne veut pas nécessairement dire recruter ! C’est avant tout parler et échanger sur son projet, avec des membres de votre famille et des amis ou, si vous en avez la possibilité, des mentors.
Aymeric : Je partage l’avis de Pierre et j’ajouterais qu’il faut aussi s’entourer de personnes différentes, dotées d’autres façons de penser, d’autres caractères. Par exemple, Pierre et moi sommes assez complémentaires : j’ai plus un profil de médiateur quand, lui, se veut davantage confiant et rentre-dedans. Le second conseil à mes yeux serait aussi de toujours aller au plus simple. Le fait d’être très terre-à-terre et de développer rapidement des choses concrètes vous aidera grandement. Et cela passe par la remontée d’informations sur le terrain. Par exemple, pour l’application, j’avais pensé au départ ajouter certaines fonctionnalités, quitte à prendre du temps pour les mettre en place, mais j’ai changé d’avis après juste un coup de fil avec le technicien : ce dernier avait en tête des besoins auxquels je n’avais pas pensé. Il faut toujours revenir à l’essentiel, ne jamais partir trop loin. C’est une leçon que j’ai apprise et que je vais continuer à appliquer encore longtemps. D’autant que, dans une jeune start-up, il y a de grandes chances pour que personne ne soit là pour vous dire quand vous allez trop loin : c’est à vous d’être capable de rester focalisé sur la vision métier.
Pierre : C’est vrai. Parfois, la tentation de voir trop grand, de se projeter trop loin, apparaît, mais il faut savoir lutter contre. De toute façon, contrairement aux très grandes entreprises, les startups ont l’avantage d’être facilement scalables – peu importe la taille du marché, elles peuvent s’adapter très facilement sans augmenter les coûts de manière exponentielle. D’abord il faut faire quelque chose de simple et, après, on s’adapte pour le faire grandir. La simplicité est la clé.
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